La légende de Yaya (5)

Publié le par Le monde de Nilumel

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"VENGEANCE... VENGEANCE..."
Ces mots caverneux résonnaient le long des parois des égouts. Le rat s’immobilisa. Moi, j’étais paralysée.
"VENGEANCE.... VENGEANCE..."
"MORT... MORT..."
Et soudain, une marée de rats déferla sur nous. Je reculais jusqu’à la paroi comme pour me protéger. Ils se ruèrent sur mon compagnon et se mirent à glapir, excités, énervés, gesticulant dans tous les sens, tous aussi sales et répugnants. Mon rat semblait avoir de l’ascendant sur eux car il les calma d’un geste de la patte et leur parla longuement sans que je puisse comprendre ses paroles.
Alors, tous les rats s’éclipsèrent par petits groupes en un rien de temps.
- Que...Que se passe-t-il ? demandais-je.
- Nous venons de perdre l’un des notre. Il a été victime de la bande des garçons de Saint-Michel. Ils l’ont assassiné à coup de cailloux.
 
La bande de Saint-Michel ! Je les connaissais, c’étaient les pires enfants du quartier ! Livrés à eux-mêmes, violents, infréquentables, ils étaient la terreur des rues, des jardins d’enfants et des cours de récréation.
Je savais qu’à la tombée de la nuit, alors que tous les enfants font sagement leurs devoirs chez eux, ils partaient à la chasse aux rats. Paul, leur chef, étaient le plus méchant et le plus agressif... Une horreur... Mais, de là à.... J’avais encore en mémoire les terribles mots : vengeance... mort...
- Vous... Vous... allez les tuer ?
- Les tuer ! Nous ne sommes pas des rats tueurs ici. Nous, les animaux, à l’inverse des hommes, nous ne tuons que pour notre survie, pour nous défendre ou manger, alors parfois nous y sommes obligés. Mais ce quartier est tranquille et regorge de poubelles, de plus, le marché de La Plaine a lieu deux fois par semaine et laisse des monceaux de détritus très appétissants. Alors on est plutôt grassouillet par ici. Mais l’acte commis par cette bande de galopins est inadmissible et nous devons leur donner une sérieuse leçon.
- Qu’allez-vous faire ? Dis-je intriguée.
- Suis-moi et tu verras. Le crime a été commis à La Plaine, nous avons rendez-vous là-bas.
 
Maintenant, nous suivions un lacis de petits tunnels où, malgré le peu de sympathie que m’inspirait mon compagnon, je n’aurais pas aimé le perdre.
La Plaine, située sur une colline de Marseille, entourée d’immeubles, était un charmant jardin. Au centre, un mamelon tapissé de pelouse et arboré de beaux magnolias. Un bac à sable, un guignol, un marchand de glaces, de gentils petits ânes qui promenaient les enfants, un loueur de bicyclettes, une fontaine de ville... Autour, une belle allée circulaire plantée de platanes où avait lieu le marché deux fois par semaine, et qui servait de terrain de jeu le reste du temps. Le lieu des meilleurs moments de la vie !
 
Et j’étais dessous, à quatre pattes, car le tunnel s’était encore rétrécis et grimpait en pente raide. Nous devions approcher de la surface car l’air était un peu moins oppressant. Je ne m’en étais pas aperçu mais des dizaines de rats nous suivaient, sans un bruit, seuls quelques petits chuintements ou grincements se faisaient entendre par moments.
 
En me retournant, je voyais une masse grise ondulante, et leurs petits yeux perçants brillant dans le noir d’un éclat rougeâtre. Devant leur nombre et leur détermination, je frissonnais. Qu’allaient-ils faire? Quelle punition allaient recevoir les mauvais garnements? Morsures, griffures, lacérations... Je ne les aimais pas ces gamins des rues, mais c’étaient quand même mes congénères. J’étais terrorisée.
Soudain, les rats s'arrêtèrent, je comprenais qu'il allait se passer quelque chose d'important...
- Nous y voilà. Toi, la fillette, dit mon guide à voix basse, tu ne bouges pas, pas un mot, pas un signe, sinon... Couic... Alors, regarde et prend acte. 
J’étais devant une bouche d'égouts qui donnait sur l’esplanade de La Plaine. C’était l’hiver, le soir commençait à tomber et le jardin était désert. Quand tout à coup, je les vis. A quelques mètres, près d’un gros platane, se tenait un groupe de garçonnets. Je les reconnus tout de suite, sales, mal peignés, les vêtements déchirés, la posture arrogante. Les gosses de la bande de Saint-Michel, au lieu de rentrer retrouver leurs parents, faisaient la dernière partie de billes.
 
Il y eut un petit bruit et Paul, Alain, Daniel et les autres se tournèrent vers moi. J'eus peur qu’ils ne m'aperçoivent, mais à ce moment, leur visage se défigura, leurs yeux s’agrandirent de terreur, leur bouche s’ouvrit sur un cri qui ne put s’exprimer, ils tombèrent en arrière les uns sur les autres et... la vague de rat leur passa sur le corps.
Puis ce fut un concert de hurlements et se relevant tant bien que mal, chacun s’enfuit dans une direction opposée, abandonnant leur attirail.
Les rats alors se ruèrent sur les cartables et les sacs qu’ils dépiautèrent en un rien de temps puis ce fut le tour des roues et des selles des vélos. Il ne restait plus que des carcasses sinistres.
 
Leur tâche ravageuse terminée, les rats se glissèrent silencieusement dans la bouche d’égout, et en me frôlant au passage, disparurent dans l’obscurité. J’étais haletante de ce que je venais de voir et d’entendre, car pendant toute la durée de l'assaut, il me semblait que les rats psalmodiaient "YAYA... YAYA... YAYA... " d’une voix sourde. J’étais dans un cauchemar qui ne finissait pas.
- Voila une bonne leçon dont ils se souviendront. Etre piétinés par des rats est absolument terrorisant pour des enfants de cet âge, ricana le petit être qui était resté auprès de moi. Vois-tu, parfois nous devons nous substituer aux parents pour donner un semblant d’éducation à leurs sales mioches. 
 
* * *
 

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M
<br /> Une bonne leçon que ces petits garçons ont reçue ! Je m'y attendais un peu ! Les descriptions sont toujours aussi sympa ! Je crois que j'ai bien choisi en attaquant la " Légende de Yaya"<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> oui, sans doute de mauvais souvenirs de mes classes!<br /> <br /> <br /> <br />